« Personne ne penserait un jour à démonter l’Atomium », vraiment ?

Classer la place du Jeu de Balle à Bruxelles : une évidence ! Et pourtant…

Fin janvier, une pétition citoyenne a été remise à la Région bruxelloise pour demander le classement comme site de la légendaire place du Jeu de Balle, ainsi que de plusieurs bâtiments emblématiques qui s’y trouvent et de l’abri anti-aérien datant de la Seconde Guerre Mondiale qui se situe dans son sous-sol. En remettant leur dossier, les pétitionnaires ont activé un droit démocratique prévu par le Code bruxellois de l’Aménagement du Territoire (CoBAT) qui permet de demander au Gouvernement régional l’ouverture d’une procédure de classement.

À peine la pétition déposée, le Ministre-Président Rudi Vervoort, en charge du Patrimoine, donne déjà une forte indication sur l’attitude qu’il prendra au moment de décider en qualifiant cette démarche d’« instrumentalisation du patrimoine ». Un propos qui démontre fort peu de considération pour cette initiative citoyenne.

Il pointe du doigt le fait que cette demande de classement vise à bloquer le projet de la Ville de Bruxelles de construire un parking sous la place du Jeu de Balle. Selon lui, « Il existe d’autres moyens pour refuser des projets s’ils ne sont pas acceptables quelles qu’en soient les raisons. Je ne suis pas convaincu qu’il s’agisse d’une bonne manière d’agir. L’instrumentalisation du patrimoine pour contrer un projet n’est pas une bonne chose. » Ces « autres moyens », les Bruxellois qui s’opposent à ce projet de parking les utilisent déjà et auraient pu s’en contenter car ils ont de bonnes chances de gagner leur combat. Mais l’une de leurs principales motivations est justement la préservation de cette place historique et ils ne voient aucune raison de ne pas poser le débat sur ce terrain.

La place du Jeu de Balle est l’une des rares à Bruxelles ayant su conserver son caractère d’origine. Elle est riche d’un patrimoine architectural, historique et archéologique, d’ailleurs largement reconnu en Belgique comme à l’étranger. Le Vieux Marché qu’elle accueille quotidiennement depuis 1873, avec son folklore et ses multiples anecdotes, fait partie de l’Histoire et du patrimoine immatériel de notre ville.

Ni cette place ni son marché quotidien ne sortiront indemnes d’un long chantier de bétonisation du sous-sol et d’un réaménagement de la surface (la Ville de Bruxelles veut d’ailleurs confier la conception de l’espace public à une société de parking !). Un parking souterrain nécessiterait la création de diverses trémies, ascenseurs et cheminées d’aération qui défigureraient l’attrait historique et esthétique de la place. Un bref coup d’œil à la place de la Monnaie permet de se rendre compte à quel point les dispositifs de ce genre sont particulièrement encombrants et destructeurs des proportions, circulations, perspectives, cohérences visuelles et de matériaux, ceci tout en entravant le cheminement des piétons.

Alors, bien sûr, c’est la menace de la construction d’un parking souterrain qui a réveillé les esprits, réuni et mobilisé de nombreux Bruxellois, qui n’imaginaient pas que cette place qui leur est si chère et qui est si caractéristique du Vieux Bruxelles ne bénéficie à ce jour d’aucune protection et pourrait si facilement être détruite ou défigurée. Nous sommes les premiers étonnés qu’il nous incombe d’initier la procédure de classement de cette place emblématique ! Il nous paraissait pour le moins logique qu’un Ministre-Président en charge du patrimoine soutienne positivement une telle initiative. Pourtant…

Le retard de classement en région bruxelloise est abyssal et les propos du Ministre-Président n’ont pas de quoi rassurer, notamment quand il explique que le classement n’est pas « l’alpha et l’oméga de la protection patrimoniale », en prenant exemple sur des bâtiments comme l’Atomium ou le Palais Royal qui ne sont pas classés alors qu’on imagine qu’ils le sont. « Évidemment, personne ne penserait un jour à démonter l’Atomium », a-t-il précisé. Force est pourtant de constater qu’en 2014, alors que nous croyions les pires heures de la bruxellisation loin derrière nous, il s’est trouvé quelqu’un pour penser à construire un parking sous la place du Jeu de Balle ! Et ce n’est pas la seule place du cœur historique de Bruxelles à être ainsi menacée : la Ville souhaite également construire des parkings sous les places Rouppe, du Nouveau-Marché-aux-Grains, et toute la zone des anciens quais allant de la place de l’Yser jusqu’au Marché-aux-Porcs…

Pour le Ministre-Président, « Si la Ville dépose un jour une demande de permis pour un parking sous la place du Jeu de Balle, le projet ne sera pas analysé à la seule lumière du patrimoine, mais à la lumière de tous les enjeux qui sont concernés : de la mobilité à la cohésion sociale, en passant par le bon aménagement des lieux, l’urbanisme et le patrimoine. Il me paraît plus sain d’agir de la sorte. » Sauf que la législation sur la protection du patrimoine estime que certains témoins du passé méritent d’être protégés, et donc ne sont plus soumis aux mêmes critères en vertu de leur intérêt spécifique. C’est le principe du classement. Faire passer à l’avant-plan des considérations d’opportunités économiques, de mobilité ou autres relève à l’inverse d’une négation de toute politique de protection du patrimoine car, par nature, le patrimoine est irremplaçable et ne peut survivre à n’importe quel projet. Si on veut le préserver, il faut donc faire les choses dans l’ordre : d’abord l’inventorier et le protéger et, ensuite seulement, considérer les projets qui pourraient éventuellement y prendre place sans le mettre à mal. Ainsi, nous sommes en droit d’attendre que la Région bruxelloise examine la demande de classement sous l’angle du patrimoine et non en fonction d’autres enjeux. C’est tout simplement le sens même de la protection du patrimoine !

Pétitions-Patrimoine et Plateforme Marolles

Carte blanche parue sur le site du « Soir » et dans « Brussel Deze Week », 04/02/2015




Les loyers grimpent, descendons dans la rue !

La crise du logement qui sévit à Bruxelles est de plus en plus aigüe. Forcés de consacrer une part toujours plus critique de leurs revenus à se loger, nombre de Bruxellois et de Bruxelloises éprouvent de plus en plus de mal à trouver un logement accessible et de qualité. Depuis plus de 20 ans, les politiques mises en place par les autorités ont été incapables de répondre à la situation parfois dramatique dans laquelle glissent de nombreux ménages. Il est grand temps d’agir pour produire massivement des logements réellement accessibles, et pour empêcher la hausse des loyers.

L’échec des politiques régionales

Alors que près de 50% des familles de la capitale sont dans les conditions d’accès à un logement social, cet ancien « fer de lance » de nos politiques sociales ne représente que 8% du parc de logements de notre Région (+/- 39.000 unités). Des aides considérables ont été attribuées pour soutenir la rénovation de logements publics comme privés, mais leurs effets sont restés plus que limités pour certaines couches de la population. Pendant ce temps, la construction de nouveaux logements publics accessibles aux plus bas revenus est restée dramatiquement insuffisante. Le bilan du Plan Logement de 2004 est particulièrement décevant : sur les 5000 logements publics locatifs annoncés pour 2009, seuls 1040 étaient sortis de terre fin 2012. En 10 ans (2002-2011), on n’a réalisé que 440 logements sociaux supplémentaires, alors le nombre de ménages sur les listes d’attente a augmenté de 16.000 (pour atteindre aujourd’hui 41.000 ménages). Pourquoi cette lenteur ?

Les pouvoirs publics se sont peu à peu tournés vers d’autres politiques que le logement social : aides à l’acquisition, Agences Immobilières Sociales, Fonds du Logement,… Autant de dispositifs qui constituent désormais le corps de la politique du logement de notre Région. Ceci explique sans doute le glissement sémantique opéré au début de cette législature : aujourd’hui, plus personne ou presque n’utilise le terme de « logement social », on ne parle plus que de logements à « gestion publique et à finalité sociale »… La production de logements réellement sociaux semble bel et bien au point mort, remplacée par un logement semi-privé/semi-public souvent acquisitif. Avec quelles conséquences à long terme ?

Même les Sociétés Immobilières de Service Public, en charge du logement social, seront désormais, avec l’entrée en vigueur du nouveau Code du Logement, habilitée à gérer un certain quota de logements moyens. Bruxelles ne cesse de creuser son fossé social, elle exclut les plus pauvres et peine à retenir la classe moyenne.

Un bon plan pour le logement ?

La crise du logement public n’est en fait « que » la partie apparente du problème. Logements insalubres, sur-occupation, vendeurs de sommeil, endettement, expulsions,… Les situations individuelles vécues par un nombre croissant de ménages sont moins médiatisées, mais pas moins interpellantes. Les demandes d’aide auprès des CPAS et associations de première ligne sont en hausse constante, alors que la situation générale du logement ne donne aux ménages en détresse aucune perspective pour sortir de leurs difficultés.

Pendant ce temps, le Gouvernement semble ne plus jurer que par « l’internationalisation » comme remède aux problèmes de sous-financement de la Région. Il mène des politiques de rénovation urbaine favorisant des hausses immobilières qu’aucun dispositif légal ne cherche à encadrer sérieusement. Il offre les rares réserves foncières de Bruxelles à des investisseurs en quête de profits…

Face à cette situation dramatique, il est grand temps que notre Gouvernement prenne la mesure des véritables enjeux qui traversent notre ville et les décisions qui s’imposent. Des mesures d’encadrement des loyers couplées à une forte taxation des logements vides devraient permettre une modération durable des loyers sur le marché privé. La production massive de logements publics locatifs, dont une grande part de logements sociaux, est l’autre grand chantier qui permettrait d’enrayer ce cycle infernal. Ces mesures de bon sens impliquent d’arrêter les politiques diminuant la maîtrise publique du foncier, et de réserver aux seules conditions sociales modestes les aides publiques permettant l’accession à la propriété dans notre territoire confiné.

À l’heure où le Gouvernement finalise son nouveau Plan Régional de Développement Durable, censé traduire les grandes priorités d’actions de la Région à l’horizon 2020, nous réclamons avec force qu’il adopte de telles mesures. Bruxelles a besoin d’urgence d’une politique ambitieuse d’accès équitable au logement ! Cela doit être l’un des principaux objectifs de tout plan de développement.

Le 25 mai, nous appelons les habitants à soutenir ces revendications lors d’une mobilisation festive dans les rues de Bruxelles : une marche qui mettra en scène le parcours du combattant pour trouver un logement décent et abordable dans la capitale.

www.woning-marathon-logement.be

Carte blanche publiée dans « Le Soir » du 14 mai 2013

Signataires :
Brusselse raad voor het leefmilieu, Centre Bruxellois d’Action Interculturelle, Chez nous – Bij ons, Collectif ALARM, CSC Bruxelles, Equipes Populaires Bruxelles, Fédération bruxelloise de l’union pour le logement, Inter-Environnement Bruxelles, Ligue des droits de l’homme, Maison de quartier Bonnevie, MOC Bruxelles, Plus Tôt Te Laat, Rassemblement bruxellois pour le Droit à l’Habitat, Syndicat des locataires, Union des Locataires du Quartier Nord, Union des Locataires d’Anderlecht-Cureghem, Woningen 123 Logements.




Critique et rétorsion, le faux procès en légitimité…

La dynamique renouvelée d’Inter-Environnement Bruxelles (IEB) est régulièrement contestée par une partie de la sphère politique bruxelloise : une subvention régionale a été bloquée, une autre est menacée de non-renouvellement et une troisième de suspension. IEB se montrerait trop critique et entamerait trop de recours. Son « manque de légitimité » est pointé. Cette situation tendue pose une nouvelle fois la question des relations entre le politique et l’associatif.

En septembre 2011, une décision de justice a permis d’arrêter le chantier d’abattage des platanes de l’avenue du Port, piloté par la Région mais fortement contesté par le mouvement associatif bruxellois auquel IEB s’est joint.
Le mois suivant, après des mois d’implication, IEB a choisi de quitter les ateliers prospectifs organisés par la Région autour de l’élaboration du Plan régional de développement durable (PRDD), dont les conclusions lui apparaissaient fixées d’avance [1]. En réponse à cette décision, le Ministre-Président Charles Picqué écrivait à IEB pour faire part de sa « profonde inquiétude quant aux répercussions que [notre] positionnement et les motifs qui le sous-tendent, avait à [ses] yeux sur la nécessaire représentativité qu’une association telle que la [nôtre] se doit d’incarner vis-à-vis de l’ensemble de la population bruxelloise pour pouvoir légitimement mener à bien les missions pour lesquelles elle est financée ».
Un an plus tard, la RTBF dévoilait les raisons pour lesquelles un subside destiné à financer les activités récurrentes d’IEB en matière de Mobilité était bloqué depuis plusieurs mois sur la table du Gouvernement bruxellois. Sous le couvert de l’anonymat, un membre du Gouvernement déclarait à un journaliste : « Pas de problème qu’IEB joue son rôle de groupe de pression et donne son avis – même critique – lors des procédures de consultation de la population à l’occasion de grands projets urbanistiques. Par contre, quand l’association introduit régulièrement des recours en annulation contre des décisions régionales, avec l’argent de la Région, la pilule ne passe pas » [2]. Le subside fut finalement débloqué. Mais il ne fallut que quelques mois pour que la Ministre Brigitte Grouwels, reprochant à l’association d’avoir relayé dans sa lettre d’information un appel à manifester contre les politiques sécuritaires et tarifaires de la STIB [3], demande la suspension de l’agrément d’IEB en matière d’Environnement.

Il ne faut pas être devin pour faire le lien entre ces événements et poser ce qui semble être un débat sur la légitimité du combat d’IEB au cours des 40 dernières années…

Un écart de plus en plus marqué

Lors de la création de la Région bruxelloise, il y avait des convergences entre les thèses défendues par les associations et les objectifs du monde politique local : se positionner fermement face aux grands projets destructeurs de l’État fédéral, satisfaire les besoins des habitants de la ville, préserver le patrimoine et l’environnement, etc. À l’époque, des associations comme IEB ont participé de manière constructive à l’élaboration d’une règlementation, insuffisante certes, mais qui a permis d’encadrer le développement urbain et d’associer les habitants aux petits et grands enjeux urbanistiques, notamment par le biais de la procédure d’enquêtes publiques.

Aujourd’hui, on constate une dégradation générale de ce cadre réglementaire pour lequel IEB s’est battue pendant près de 40 ans. Les autorités ont désormais fait le pari du développement international de Bruxelles, les grands projets et interventions déstructurantes de l’environnement urbain voient à nouveau le jour… Un contexte différent est en train de produire des effets analogues à ce que les Bruxellois contestaient alors.

Au fil du temps, la Région s’est éloignée de l’associatif, s’alliant de plus en plus avec le monde commercial en général et celui de la promotion immobilière en particulier. Une alliance renforcée par les contraintes institutionnelles. La Région, largement sous-financée, cherche à se ressourcer par la hausse des valeurs immobilières et des politiques urbaines susceptibles de convaincre des catégories plus aisées de s’installer à Bruxelles. Un mouvement qui s’inscrit dans un contexte général de renforcement de l’emprise du marché et d’internationalisation de la ville, menant les pouvoirs publics à se délester d’une partie de leurs responsabilités au profit du secteur commercial. De régulateur et d’arbitre qu’il était, l’État semble à présent se mettre au service de l’économie. Et de ce point de vue, le débat démocratique cesse d’être un atout politique pour devenir un problème.

Ces dernières années, les pouvoirs publics bruxellois ont ainsi commencé à re-cadenasser les dispositifs de concertation et de participation [4]. Mais c’est bien au-delà de Bruxelles qu’on constate un retour en arrière du pouvoir politique, une tendance à se replier sur la légitimité représentative électorale et à vouloir discréditer l’associatif lorsqu’il se montre critique et fait usage de sa capacité de parole et d’action autonomes. Le contexte actuel de crise économique rend plus difficile et plus conflictuel encore le dialogue entre l’associatif et les pouvoirs publics. Dans les pays les plus durement touchés par la crise et l’injustice sociale, la rupture de confiance est totale et la contestation dans la rue.

Bruxelles évolue, IEB aussi

De son côté, tout en perdant peu à peu sa proximité avec le pouvoir régional, la fédération des comités d’habitants a elle aussi évolué. Depuis plus de 40 années qu’elle existe, son environnement social, culturel, politique et économique a profondément changé. Elle avait donc besoin de re-fonder son action. Il y a quelques années, IEB s’est engagée dans un processus de réflexion, en s’interrogeant tant sur sa structure que sur ses modes de fonctionnement et leur articulation avec le reste du tissu associatif, qui a évolué lui aussi.
Tout en se recentrant sur son rôle d’organisation d’éducation permanente, IEB a cherché à s’ouvrir à d’autres associations et à différentes catégories sociales composant la population bruxelloise, mais aussi à rendre plus collectifs ses processus internes et à retrouver une liberté de parole qui lui avait parfois un peu fait défaut…

Dans un monde plus ouvert mais aussi plus tendu, les enjeux urbains auxquels nous sommes confrontés pèsent à nouveau lourdement sur nos modes de vie : il s’est agi d’abord de les comprendre et ensuite d’agir en cohérence avec ces constats. Ainsi, le renforcement de la dualisation socio-économique de la population bruxelloise a ramené la question sociale au premier plan des réflexions, parfois même en tension avec la question environnementale. Parce qu’elle s’en est saisie davantage qu’auparavant, IEB a dès lors pris certaines positions qui bousculent les milieux politiques.

Des mandataires politiques, irrités par le manque de docilité d’IEB ou se sentant trahis par ce « retour aux sources », montrent aujourd’hui des réactions d’incompréhension, voire de mépris et de condamnation. D’où la remise en cause des subsides de l’association, comme si la subsidiation s’accompagnait d’un rapport de subordination ou d’obéissance. Mais si IEB conteste davantage, ne serait-ce pas tout simplement parce que le contexte est devenu plus contestable ?

Certaines prises de position d’IEB sont considérées comme « trop radicales » et on s’entend même reprocher qu’elles s’inscriraient dans le « luxe » du long terme, dégagées de la réalité des rapports de force politiques. C’est vrai, nous avons ce droit et ce devoir : nous recherchons la cohérence et la pertinence sur le long terme. Une association n’est pas soumise aux mêmes contraintes qu’un mandataire politique (coalitions, répartitions de pouvoir, échéances électorales…) ; ses prises de position ne sont donc pas guidées par la recherche du consensus politique, ni subordonnées aux calendriers électoraux, elles ne prétendent pas à la neutralité et elles peuvent même se permettre une petite dose d’utopie ! Et c’est bien normal : une association comme IEB n’est ni un parti de majorité ou d’opposition, ni l’attachée de presse du Gouvernement.

Quelle « représentativité » ?

Mais c’est sur le vieux refrain de la légitimité, du nombre et de la représentativité que se concentrent les attaques contre IEB. Rappelons d’emblée que, bien que fédérant près de 90 associations et comités de quartier actifs sur des questions urbaines, écologiques et sociales, IEB ne peut pas et n’a jamais prétendu représenter la population bruxelloise dans son ensemble.

À partir des préoccupations et des activités de ses membres, IEB pense et agit à la fois comme une force collective de réflexion, d’information, d’expérimentation, de proposition, voire de contestation. Ce droit à définir son environnement n’est pas seulement légal, il est constitutionnel. S’il fallait juger de la légitimité d’IEB, ce serait donc en regard de la qualité de son action, c’est-à-dire de sa capacité à engager le débat entre ses membres et avec la société, à formuler une analyse critique ainsi qu’une évaluation des phénomènes urbains qu’elle observe de manière étayée, à prendre des positions collectivement et à stimuler l’échange de savoirs, la mise en réseau et la création d’alliances avec d’autres acteurs urbains, etc.

Certes, il n’y pas d’obligation à financer la société civile, mais invoquer un défaut de légitimité d’IEB pour en menacer le financement n’est pas honnête. Il serait plus juste de dire : « nous ne souhaitons plus financer cette fédération car elle nous gêne ». Ce qui reviendrait à financer l’associatif en fonction de sa docilité… Et à piétiner au passage les principes de la Charte associative signée par nos gouvernements et reconnaissant formellement la liberté d’association, et ceux de la Région qui s’est engagée à garantir aux associations comme IEB le droit à une indépendance leur permettant de « se consacrer sans entraves aux missions qu’elles se sont assignées et pour lesquelles elles sont subsidiées » [5]. Si l’on souhaite davantage de participation et de délibération dans l’espace public, il faut en effet s’en donner les moyens.

Il n’appartient pas au pouvoir politique de décerner un brevet de légitimité aux associations, ni de s’ingérer dans leurs prises de positions. Oui, IEB peut légitimement porter un regard critique sur un processus participatif, ou décider de déposer un recours contre un projet immobilier, un plan ou une ordonnance qui violent la règlementation en vigueur. Mais IEB peut tout autant mener des projets et des alliances avec les pouvoirs publics, rendre des services nombreux à la population et même aux administrations – y compris sur le plan économique. C’est ainsi qu’IEB a récemment contribué à ce que le projet porté par la société Prowinko à l’avenue de la Toison d’or permette à la Commune d’Ixelles d’augmenter son patrimoine immobilier social pour une valeur de plus de 4 millions d’euros ; ou que certains de ses membres initient de nombreux projets d’économie sociale et durable, créateurs d’emplois locaux non délocalisables.

Des recours légitimes

Si, sur la place publique, IEB revendique le droit de participer au débat d’idées, devant les juridictions elle ne revendique rien d’autre que le respect de la légalité. Faut-il le dire… les juridictions administratives ou judiciaires n’ont pas pour mission de s’immiscer dans la liberté d’appréciation du politique, mais de sanctionner les illégalités avérées des décisions prises. D’ailleurs, reprocher à une association comme IEB ses actions en justice est contraire à la Convention d’Aarhus [6], signée par la Belgique, qui spécifie que les associations œuvrant pour la protection de l’environnement peuvent introduire des recours administratifs ou judiciaires. Un pays dans lequel la société civile se verrait interdire d’exiger des pouvoirs publics le respect de ses propres plans et règlements et la motivation correcte des actes administratifs serait-il encore une démocratie ?

Au passage, redonnons aux choses leur réelle importance. Sur ces 5 dernières années, tandis que plus de 20.000 permis d’urbanisme et de lotir ont été délivrés à Bruxelles [7], IEB a introduit 6 recours contre des permis [8]. Sur ces 6 recours, seuls 3 concernent des permis délivrés aux pouvoirs publics [9]. Un autre recours concerne la réforme du COBAT. Tous les recours actuellement jugés (mars 2013) ont été déclarés fondés [10]. Avec pour résultat une jurisprudence qui fait avancer les grands principes de la démocratie urbaine, et même parfois le droit européen [11]. Ces principes de la démocratie urbaine, nous entendons bien continuer à les défendre. Tout en jouant le rôle critique qui est le nôtre.

• Le conseil d’administration d’IEB : Gwenaël Breës (Comité du quartier Midi), Christian Dekeyser (Groupe d’Animation du Quartier européen de la Ville de Bruxelles), Chloé Deligne (Eau Water Zone), Sylvie Eyberg (Comité de quartier Le Maritime), Dominique Nalpas (Parcours citoyen), Isabelle Pauthier (Atelier de recherche et d’action urbaines), Martin Pigeon (Le début des haricots), Raphaël Rastelli (Pétitions-Patrimoine), Denys Ryelandt (Association de comités de quartier ucclois), Marco Schmitt (Association du quartier Léopold), Jean-Louis Smeyers (Comité de quartier Marie-Christine/Reine/Stéphanie), Marie-Anne Swartenbroeckx (Comité de quartier Notre-Dame-aux-Neiges de Bruxelles-Ville).

[1] http://www.ieb.be/IEB-quitte-les-at…

[2] RTBF, 12 octobre 2012.

[3] http://www.ieb.be/STIB-apres-la-pol…

[4] Par exemple : le droit de pétition de classement rendu ineffectif par le CoBAT, l’adoption en toute opacité du Plan de développement international, l’élaboration du nouveau Plan régional d’affectation du sol avant celle du PRDD…

[5] Note aux Membres du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, 5 mars 2009 (réf. EH/09/BER).

[6] Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement signée à Aarhus le 25 juin 1998.

[7] Source : rapports annuels de l’Administration de l’Aménagement du Territoire et du Logement et extrapolation des chiffres pour 2012.

[8] Pour avoir un aperçu plus complet des recours introduits par IEB, voir http://www.ieb.be/article13183

[9] Permis d’urbanisme délivrés pour le « BILC » avenue du Port, 6 dispositifs publicitaires 8m² en espace public (accordés en dérogation aux règlements d’urbanisme), et le réaménagement de l’avenue du Port.

[10] Sauf concernant le volet « patrimoine » de la réforme du COBAT. Les dispositions sur le plan de gestion patrimoniale n’ont pas été annulées mais la Cour constitutionnelle a dit que l’application de la directive 2001/42/CE relative à l’évaluation des incidences sur l’environnement de certains plans et programmes ne peut être exclue d’office.

[11] Voir dans ce même numéro, l’article « Abrogation de plans : évaluation des incidences aussi ».




Le CSA confisqué

Ce n’est pas le genre de nouvelle sur laquelle s’étend le journal télévisé : alors que la majorité PS-CDH négocie en ce moment le renouvellement du Bureau du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), sa présidente, Evelyne Lentzen, est en passe d’être « débarquée ». Le Gouvernement, et à travers lui le Parti Socialiste, lui reprocherait une attitude « trop indépendante » ! La tentation de « mettre au pas » l’organe de régulation de l’audiovisuel est manifestement très forte…

C’est le Gouvernement de la Communauté française qui est chargé de nommer, tous les 5 ans, les membres du Bureau : un président et trois vice-présidents, sans l’aval desquels rien ne se décide au CSA. Ces postes sont « étiquetés » politiquement et distribués entre partis en fonction du résultat sorti des urnes.

Et aujourd’hui, les principes que le CSA est censé faire respecter dans l’univers de l’audiovisuel — à savoir la diversité, l’éthique, l’indépendance, ou encore la pluralité des tendances idéologiques et philosophiques — semblent moins que jamais prioritaires lorsqu’il s’agit de composer ses propres instances dirigeantes.

Il est vrai que le CSA, ces derniers mois, s’est illustré par des décisions fort peu agréables pour certains grands opérateurs. En tête de ceux-ci : la RTBF, qui n’a pas apprécié l’intervention du régulateur dans la négociation de son contrat de gestion particulièrement pro-publicitaire. Et RTL-TVi, en conflit ouvert avec le CSA depuis sa « délocalisation » au Luxembourg (RTL-TVi s’est notamment vu infliger une amende record de 500.000 euros dans ce cadre, toujours impayée actuellement).

En quelque sorte, même si son bilan n’est pas parfait, la direction du CSA paie le prix de son bon travail : avoir “simplement” privilégié l’indépendance de son institution, à l’inverse d’une logique particratique.

Trop indépendant, donc, le CSA… mais de quoi parle-t-on, au juste ?

Le CSA est, comme la Loi l’indique, une autorité administrative indépendante, c’est-à-dire un organe administratif qui ne dépend pas de la Ministre de l’audiovisuel, au contraire du reste de l’administration.
Partout en Europe, on installe de tels organes indépendants pour réguler divers secteurs sensibles (télécoms, médias, mais aussi énergie), afin d’éviter autant que possible les conflits d’intérêts et garantir le fonctionnement démocratique des institutions.

Le cas de l’audiovisuel est particulier en ce sens qu’il est le lieu de combats politiques féroces : on sait l’importance cruciale qu’a prise « la com’ » dans nos démocraties. Les élus, avides d’accès aux grands médias pour entretenir leur notoriété, sont tentés de faire montre de complaisance pour gagner ou garder les faveurs de tel ou tel organe médiatique. En témoignent, par exemple, les récentes adaptations à la Loi en vue d’assouplir les règles relatives aux pratiques publicitaires en télévision, notamment le plafond des recettes publicitaires de la RTBF que la majorité a fait sauter, en totale contradiction avec les promesses pré-électorales des deux partis qui la composent.

C’est pour cette raison que la mission de contrôler les radios et les télévisions est confiée à un régulateur autonome, sorte « d’empêcheur de tourner en rond » conçu pour faire respecter le droit de l’audiovisuel, et pas aux décideurs politiques qui sont par définition susceptibles d’entrer en conflit d’intérêts.

L’indépendance de l’organe de contrôle est donc une condition absolument nécessaire pour protéger l’intérêt général. Téléguidé par des élus ou des partis, il serait incapable d’assurer la défense des usagers et de garantir la diversité du paysage audiovisuel face aux appétits sans scrupules et aux délires mégalomanes de l’industrie médiatico-publicitaire.

Il s’agit là d’enjeux démocratiques très concrets et bien réels, au coeur desquels le principe d’indépendance constitue un garde-fou essentiel.

La reprise en main annoncée du CSA est donc une mauvaise nouvelle pour ceux que cette institution a la mission de défendre : le public, les opérateurs audiovisuels de moindre taille, dont les radios d’expression, les télévisions locales, mais aussi les journalistes, les producteurs indépendants, les auteurs, les artistes belges, le monde culturel, le jeune public, les sourds et malentendants…

Du côté de l’industrie des médias, on se frotte les mains.

Pour les grands opérateurs qui dominent le secteur, le CSA est un obstacle. Il leur est en effet plus simple de négocier directement avec les partis au pouvoir, trop heureux de voir les médias venir leur manger dans la main. Un jeu de donnant-donnant dans lequel, s’il venait à être « bétonné », le CSA sera réduit à jouer les « presse-boutons » du PS et du CDH et à user de beaucoup de créativité pour faire entrer dans le cadre légal les petits arrangements de la majorité, mais aussi à fournir un alibi « d’indépendance » derrière lequel les politiques pourraient toujours se retrancher.
Inutile de souligner qu’il s’agirait là d’une confiscation intolérable aux yeux de tout démocrate qui se respecte.

Certains l’ont bien compris, et une proposition de modification de la procédure de désignation du Bureau du CSA est d’ores et déjà sur la table du Parlement. Il est encore temps d’organiser cette nomination sur des bases transparentes et objectives, afin de renforcer l’indépendance du CSA voulue par le législateur… et par la Ministre Laanan elle-même, si l’on en croit la déclaration qu’elle vient de faire au Parlement.

• Carte blanche parue dans « Le Soir » du 17 octobre 2007. Signataires : Philippe Andrianne (Ligue des Familles), Atelier de Création Sonore Radiophonique (ACSR), Hervé Brindel (GSARA), Cinéma Nova (Bruxelles), Jean-Marie Coen (Attac Wallonie-Bruxelles), Michel Clarembeaux (directeur du Centre Audiovisuel Liège), Michel Collon (écrivain et journaliste), Christine Declercq (Radio Libellule, Comines-Warneton), Jean-Marie Dermagne (bâtonnier du Barreau de Dinant, directeur du service de recherche en droit de l’enseignement-UCL), Irvic D’Olivier (Silenceradio.org), Jean Flinker (enseignant, membre d’Attac-Bruxelles), Nadia Geerts (auteur), Roland Gossens (scénariste et dessinateur, « Le Scrameustache »), Grappe (Groupe de réflexion et d’Action Pour une Politique Ecologique), Théo Hachez (membre du Collège d’avis du CSA), William Henne (Zorobabel – La 5e Couche), Bernard Hennebert (Consoloisirs.be), Nico Hirtt (Appel pour une école démocratique), Kanar (dessinateur de presse), Bernard Legros (enseignant et essayiste), Jacques Liesenborghs (ancien vice-président de la RTBF), Frédéric Linsmeau (Secrétaire de l’Ecole Provinciale de Sciences administratives – Région liègeoise), Jean-Michel Loré (membre du Collège d’avis du CSA), Philippe Moins (directeur artistique Anima), Henriette Michaux (enseignante à l’institut supérieur d’Architecture Lambert Lombard à Liège), Catherine Montondo (cinéaste), Catherine Morenville (journaliste), Marc Moulin (compositeur – auteur), Jacques Paradoms (écrivain et chroniqueur littéraire), Radio 48FM (Liège), Radio Air Libre (Bruxelles), Radio Campus (Bruxelles), Radio OSR (Soignies), Radio Panik (Bruxelles), Radio qui chifel (Mouscron), Radio UMH (Mons), Respire (groupe de réflexion et d’action pour libérer l’espace public de la publicité commerciale), Pierre-Paul Renders (cinéaste, vice-président de l’ARRF, Association des Réalisateurs et Réalisatrices de Films), Jean-Yves Saliez (Inter-Environnement Wallonie, fédération des associations environnementales), François Schreuer (journaliste), Edgar Szoc (journaliste), Olivier Taymans (journaliste), Clément Triboulet (clown, chargé de cours dans les Ecoles Supérieures d’Art Dramatique de Sevilla), Alain Thonon (responsable service d’aide aux jeunes), Georges Trussart (ancien Sénateur), Joelle van den Berg (Réseau IDée, Information et Diffusion en éducation à l’environnement), Dan Van Raemdonck (professeur à l’ULB), Marie-Noëlle Vroonen (La Meute), Paul Wattecamps (concepteur de Télévision du Monde), Michel Wautot (Hommes et Patrimoine)




Plan de fréquences : quand diversité rime avec parts de marché

Au terme de sept années de déboires juridico-politiques |1|, le gouvernement de la Communauté française a approuvé, le 31 mars dernier, la liste des fréquences FM attribuables aux radios privées francophones : 200 fréquences partagées entre 6 réseaux, 80 fréquences pour des radios indépendantes et 31 pour des radios d’école. Il s’agit en fait de la première étape d’une procédure qui devrait aboutir, d’ici six mois, à la finalisation d’un plan de fréquence. En établissant celui-ci, la Communauté française assume enfin son rôle de gestionnaire d’une ressource rare : l’espace public radiophonique. L’accès aux ondes étant limité par des contraintes techniques, le rôle de l’Etat est en effet de le répartir entre une multitude de candidats les plus divers, en fonction de critères censés être objectifs et garantir la pluralité de l’offre radiophonique. Au terme de cette première étape, le Gouvernement devait donc se contenter d’établir une « coquille vide », constituée de lots de fréquences faisant ensuite l’objet d’un appel d’offre public. Mais, à y regarder de plus près, il apparaît que la coquille n’est vide qu’en apparence…

En effet, les principaux candidats aux fréquences |2| ne doutent plus aujourd’hui des lots qu’ils se verront attribuer au terme d’une procédure qui, pourtant, débute à peine ! Bénéficiant de relais politiques privilégiés, ceux-ci ont joué un rôle prépondérant dans l’élaboration de « leur » futur plan ; obtenant par exemple la reconduction de fréquences utilisées illégalement depuis des années, voire même des fréquences à bon confort d’écoute retirées à certaines radios « indépendantes ».

Pour l’essentiel, tout porte donc à croire que les jeux sont déjà faits. À travers une procédure caricaturale qui s’est résumée à un intense lobbying, le Gouvernement semble avoir taillé un plan sur mesures pour les multinationales de l’audiovisuel. Ce n’est pas la lecture de la presse de ces dernières semaines qui nous démentira. On a pu y lire très explicitement comment le MR a défendu les intérêts de Bel RTL et de Radio Contact, le PS ceux du réseau Ciel FM de Guy Mathot et Daniel Weekers (Déficom, ex-directeur de Canal + Belgique)…

Malgré tout, certains réseaux trouvent encore matière à s’indigner et mènent aujourd’hui campagne contre « l’extrême gourmandise » de la RTBF en matière de fréquences. Que leurs inquiétudes soient fondées ou non, venant des principaux groupes qui ont élaboré le plan en sous main, on hésite à qualifier cette démarche de pathétique ou d’indécente. D’autant plus que le déséquilibre qu’ils dénoncent entre secteur public et réseaux privés semble bien futile au regard de l’inégalité créée dans le plan entre réseaux et radios indépendantes…

Les miettes pour les radios indépendantes

En effet, le nouveau plan constitue un très net recul pour les radios indépendantes, dont la situation actuelle est pourtant déjà loin d’être enviable. Alors que certains émetteurs de réseaux sont prévus pour atteindre des puissances dépassant les 10.000 watts, la plupart des fréquences prévues pour les « indépendantes » plafonnent à 100 watts ! Ce sont bien elles, déjà reléguées à des fréquences où le nombre d’émetteurs est plus important et la puissance plus faible, qui feront les frais des marchandages politico-financiers qui ont émaillé la conception du plan de fréquence. Ce sont encore elles qui devront se partager les miettes d’un festin déjà consommé, où d’aucuns ont encore la velléité de s’approprier les rares bonnes fréquences qui leur sont attribuées pour, au mieux, les « échanger » contre de moins bonnes.

Mais, au fait, qu’entend-on par « radios indépendantes » ? Cette catégorie « fourre-tout », consacrée par le décret audiovisuel de 1997, rassemble un conglomérat de radios aux réalités difficilement assimilables : radios commerciales locales, radios associatives, universitaires, etc.… La seule chose qu’elles ont en commun est la restriction à un seul émetteur !

Radios du 3e type : « privées »… de statut !

Aux premières loges des fréquences menacées, se trouvent les radios du troisième type, dites aussi « associatives », « socio-culturelles » ou « citoyennes ». Radios d’expression libre, de création, universitaires, voix des communautés étrangères et autres, elles ont en commun l’audace, la liberté de ton et un mode de fonctionnement participatif. Loin du conformisme induit par la pression des annonceurs et des régies publicitaires… Pourtant, aucun statut ne différencie ces radios du reste des « indépendantes ». Pas de « discrimination positive » pour elles, puisqu’aucun texte légal ne leur reconnaît une quelconque spécificité |3| ! Cette absence de reconnaissance pèse lourd pour les radios du troisième type. Par exemple, c’est au même titre que n’importe quelle radio commerciale qu’elles sont redevables de droits d’auteurs et d’interprètes toujours plus conséquents |4|. De même, elles n’émargent à aucun dispositif de subventionnement dans le champ de l’Audiovisuel. Et ne peuvent pas prétendre à l’aide d’un autre secteur de la Communauté française, puisqu’avant d’être « non-marchandes » ou « d’éducation permanente », elles sont avant tout considérées comme des « radios », « privées » comme toutes les autres…

Ni subventions, ni recettes publicitaires, ni tarifs préférentiels… Et pourtant, elles existent !

Les radios du troisième type continuent leur travail de défrichage, de médiation, d’expérimentation et de formation. Ouvertes à l’expression de catégories de la population qui ne sont pas ou peu représentées dans les médias traditionnels, elles se substituent à la mission du service public quant à son obligation de diversité.

Une vision entrepreneuriale

À l’instar de la politique culturelle, on dit souvent qu’il n’y a pas de politique de l’audiovisuel en Communauté française. En réalité, il semble bien qu’il en existe une. En déroulant le tapis rouge aux grands groupes médiatiques, en négligeant les radios indépendantes et en niant la spécificité des radios du troisième type, la Communauté française dessine une vision entrepreneuriale du paysage radiophonique où seuls prévalent les critères économiques : rentabilité, professionalisation, parts de marché… Ainsi s’annonce la procédure d’appel d’offre. C’est désormais au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA), une instance chargée de garantir une « diversité du paysage radiophonique et un équilibre entre les différents types de radios, au travers de l’offre musicale, culturelle et d’information », qu’il revient d’examiner les offres déposées par les radios puis de procéder, enfin, à l’attribution des fréquences. Le CSA réussira-t-il à s’affranchir des préférences gouvernementales pour tracer les contours d’un plan de fréquence réellement équilibré par le biais d’une procédure transparente ? Quant à la prochaine majorité gouvernementale, aura-t-elle la clairvoyance de réintégrer la dimension culturelle dans le paysage des radios privées en sortant les radios du troisième type de la précarité ?

C’est aussi un peu à nous tous d’en décider…

• Carte blanche publiée en avril 2005 dans « Le Soir » et « C4 ». Signataires : OSR (Soignies), Radio Air Libre (Bruxelles), Radio Campus (Bruxelles), Radio Hellena (Louvain-la-Neuve), Radio Panik (Bruxelles), Radio Universitaire Namuroise (Namur), Tam Tam Radio (Eghezée) Radio UMH (Mons), Radioswap.net (réseau d’échanges de programmes).

|1| « Plan de fréquences : les radios associatives tirent la sonnette d’alarme », carte blanche parue dans « Le Soir » du 17 avril 1999.

|2| Les 6 grands réseaux sont destinés, par ordre décroissant, à Bel RTL, Contact, Ciel FM, Nostalgie, NRJ et Fun.

|3| En 1997, le décret prévoyait bien une vague priorité dans l’attribution des fréquences à des radios « indépendantes à vocation culturelle », ce qui constituait pour les optimistes un semblant de début de reconnaissance. Mais même cette allusion a disparu, en 2003, suite à une réforme du Ministre Richard Miller.

|4| De plus, la répartition des droits facturés aux radios associatives par les sociétés d’auteurs et d’interprètes ne tient pas compte de la spécificité de la programmation des radios associatives. Au final, les artistes dont elles diffusent les œuvres ne sont pas ceux qui en bénéficient puisqu’il s’agit essentiellement d’artistes encore peu connus.




Éducation permanente : l’émergence hors jeu ?

Alors que la Communauté française était jadis reconnue sur la place européenne comme un laboratoire des pratiques culturelles expérimentales, elle n’a pas cessé de se couper du terreau de l’innovation. Non contente de délaisser, depuis des années, des associations qui incarnent une nouvelle vision de l’éducation permanente et d’abdiquer ses responsabilités par rapport au futur de celle-ci, elle est en passe d’appliquer un décret qui sabote toute chance de rénovation du secteur.

Dans sa note d’orientation politique, la nouvelle ministre de la Culture de la Communauté française, Fadila Laanan affirme sa volonté de porter une attention particulière aux formes de cultures émergentes. Cette déclaration intervient au moment où le nouveau décret sur l’Education permanente (l’un des budgets les plus importants de la Culture) entre en application, fraîchement réformé par l’un de ses prédécesseurs, Rudy Demotte. Le credo de ce dernier était qu’il est de la responsabilité de la Communauté française d’avoir ce rôle de levier et de faciliter l’émergence d’associations qui appréhendent de nouvelles questions de société et où s’inventent de nouvelles formes d’organisation, d’apprentissage et de résistance.

L’« émergence » est ainsi régulièrement évoquée comme une priorité, sans que l’on prenne jamais la peine de s’accorder sur ce qu’on entend par-là. Qu’est-ce au juste, l’émergence ? Sur le terrain associatif, il est impossible de parler d’un « secteur émergent », tant l’appellation est vague. Par contre, une multitude d’initiatives collectives et citoyennes, aux pratiques diverses et pertinentes face aux changements sociétaux, peuvent légitimement se sentir concernées lorsque « l’émergence » est invoquée. Ces associations peuvent aussi se reconnaître dans l’esprit du décret sur l’Éducation permanente, dont l’objet est le développement de l’action associative visant l’analyse critique de la société, la stimulation d’initiatives démocratiques et collectives dans une perspective d’émancipation individuelle…

C’est ce qui arriva en 2002, lorsque M. Demotte entama la réforme de ce décret datant de 1976. Quasi aucune association non reconnue ne fut associée à la « vaste concertation » initiée pour l’occasion. Une cinquantaine d’associations constituèrent une plateforme. Le cabinet Demotte décida de les rencontrer et les mettre au travail. De toutes nos questions et propositions formulées, il n’est resté aucune trace significative dans le décret, ni dans ses arrêtés d’application.

Boiteux sous bien des aspects, le nouveau dispositif est ultracomplexe et fait même l’impasse sur des sujets aussi importants que celui de l’évaluation. Parsemé de zones d’ombre et de contradictions, il devra au minimum être réinterprété avant d’être applicable. Mais à qui sera laissé le soin de cette réinterprétation ?

Pour les associations déjà reconnues, les problèmes d’adaptation sont réels mais ne se posent pas en termes d’urgence : un délai de trois ans leur est accordé pour se conformer aux nouveaux critères. Pour les « petites », les « nouvelles », les « différentes », bref, les « émergentes », le décret ne donne aucune autre perspective de soutien que celle d’être « reconnues », « transitoirement » dans un premier temps. Mais pour elles, la procédure est autrement plus contraignante et les chances d’aboutir quasi inexistantes :

– Le dispositif prévu pour les nouvelles reconnaissances n’est pas adapté à la réalité des associations dites « émergentes ». Les critères – essentiellement quantitatifs – sont souvent inatteignables, à moins de pousser les associations, pour s’y conformer, à modifier radicalement leur structure et la cohérence de leur action culturelle.

– Le système du « sas », réservé aux nouveaux candidats à la reconnaissance, est basé sur des injustices et des incohérences. Ainsi, le volume d’activités (très élevé) requis pour pouvoir prétendre à la reconnaissance, doit déjà être atteint par l’association dans l’année qui précède l’introduction de la demande ! Il doit être ensuite maintenu pendant la période de « reconnaissance transitoire », pendant laquelle les subsides octroyés sont pourtant quatre fois moins importants ! On cherche en vain l’effet de stimulation, l’impulsion au développement des activités, dont aucune progressivité ne semble avoir été envisagée. Par ce système, la Communauté française se montre incapable à soutenir en amont des projets dès leur… émergence.

– L’année 2005 est une année littéralement perdue pour la plupart des associations candidates. Les arrêtés d’application furent approuvés par le gouvernement le 28 avril 2004. La séance d’information sur la nouvelle procédure se déroula le 17 juin, la date de remise des dossiers étant fixée au 30 septembre. Il fallait donc être à la fois avisé, performant, courageux et clairvoyant pour remettre son dossier à temps et dans les formes requises ! Tout cela pour obtenir une réponse en septembre 2005, c’est-à-dire trop tard pour engager des fonds sur l’année en cours si la reconnaissance est accordée. Et trop tard, encore, pour repostuler en 2006 (délai : mars 2005) si elle est refusée.

– L’enveloppe qui sera allouée dès 2005 aux nouvelles reconnaissances reste l’une des grandes inconnues à ce jour. Si les parlementaires se fondent sur le nombre de demandes entrées en 2004 (très petit, vu les conditions) pour déterminer cette enveloppe, elle sera d’emblée peu fournie. Or, l’on sait déjà qu’elle risque de ne pas être suffisante pour la suite, les nouveaux crédits se répartissant prioritairement entre les associations déjà reconnues. Cette première session ne peut donc servir de référence pour l’avenir.

En aucun cas, ce nouveau décret ne peut donc être considéré comme un mécanisme d’impulsion, de soutien ou de développement des associations émergentes. S’il était question de les encourager, c’eut même été difficile de faire pire ! Comment ces associations pourraient-elles interpréter positivement cette succession d’obstacles qu’on a dressée sur leur chemin ? D’autant que les propositions formulées par certaines d’entre elles semblent avoir gardé toute leur actualité et leur pertinence. Devront-elles attendre 25 ans avant une prochaine réforme ? Ou la Communauté française décidera-t-elle enfin de se doter des moyens nécessaires pour pallier ces carences ?·

(1) Carte blanche publiée dans « Le Soir » du 19 novembre 2004 et dans « C4 ». Signataires : Agency, AlterEcho, Atelier Graphoui, Ateliers Mommen, Ambassade universelle, Aphraate, Atelier Zorobabel, Les Bains : Connective, Blabla.Express.Org, Blow-Up, Bruxelles nous appartient, Bureau vers plus de bien-être, C4, Centre Nerveux, Cercle culturel Antonio Gramsci, Cinéma Nova, La Cinquième couche, City Mine(d), Collectif sans ticket, Collectif Jaune Orange, Collectifs.net, Constant, Les Corsaires, diSturb, Ecolabus, L’Employé du Moi, Et la bête, La Ferme du Biéreau, Flying Cow, Fréon (Bruxelles), Genres d’à côté, GreFA, Inanna, InSide, Kan’H, Komplot, Magasin 4, Magazins, Matamore Recordings, Moving Art Studio, Parcours Citoyens, Placeovélo, Plus Tôt-Te Laat, Polymorfilms, Le P’tit Ciné, Les P’tits Belges, Radio Air Libre, Radio Boups, Radio Campus, Radio Panik, Recyclart, Rencontres pour Mémoire, Simili-Théâtre, La Souris qui rugit, Souterrain Production, Théâtre Le Café, Théâtre du N-ombr’île, Tilt !, UTIL, Vox, Zelig/Editions du Souffle, La Zone.

Cette Carte blanche est signée par 62 associations socio-culturelles (1)




Les rendez-vous manqués de la réforme de l’éducation permanente

Le nouveau décret détourne l’éducation permanente de sa vocation initiale. Exit la dimension culturelle, l’expression et la créativité pour comprendre le monde et agir sur lui.

Il y a environ un an, Rudy Demotte signifiait que la réforme du décret de 1976 sur l’Éducation permanente permettrait à la Communauté française d’avoir un «rôle de levier et de faciliter l’émergence d’associations qui appréhendent de nouvelles questions de société et où s’inventent de nouvelles formes d’organisation, d’apprentissage et de résistance».

Ce jeudi 13 février, ce projet de décret arrive sur la table du Gouvernement de la Communauté française. Nous avons des raisons de craindre que ce nouveau décret achève de détourner l’éducation permanente de sa vocation initiale. À sa lecture, nous découvrons un texte technocratique dans lequel peu de place est donnée à la dimension culturelle, à l’expression et à la créativité des personnes dans leur recherche pour comprendre le monde et agir sur lui. Idées pourtant centrales dans le renouvellement d’une conception de l’éducation permanente. La cause de ce revirement semble principalement due au fait que divers débats auront manqué dans la période d’élaboration du nouveau décret.

– Il y a d’abord l’omniprésente préoccupation de l’emploi qui masque d’autres exigences et notamment l’importance de l’action bénévole ou militante. Certes, il est désormais entendu que le secteur va pouvoir mieux financer ses employés. C’est un acquis important. Mais l’implication politique et culturelle parfois conflictuelle doit être le fait du plus grand nombre et suppose une prise de risque qui ne peut être seulement le fait de personnes employées qui «éduqueraient» à cela. La tension entre emploi et militantisme, bénévolat, action libre doit donc continuer d’être présente même s’il peut apparaître iconoclaste de refuser le tout à l’emploi lorsque partout l’on entend que le spectre du chômage revient en force.

– La notion d’évaluation n’a pas été pensée. Tout se passe comme s’il ne fallait pas toucher au contenu de ce que produisent les organisations d’éducation permanente, comme si ces contenus et méthodes ne pouvaient faire débat, être remis en questions. L’Etat, cependant, aurait tout intérêt à se donner les moyens d’une évaluation de ses politiques culturelles qui permettent d’imaginer les réorientations essentielles dans un monde en mutation.

– L’impossible transversalité des politiques culturelles en Communauté française ne permet toujours pas de lier art et politique, par exemple, ou rend difficile l’usage d’un médium comme méthode ou technique d’expression culturelle dans le cadre d’un projet d’éducation permanente. C’est comme si l’expression, la créativité, la création même n’avaient aucun rapport avec l’esprit critique et l’émancipation. Comme si dans la vie il n’y avait pas un continuum entre ces termes.

– Il y a enfin ce que nous appellerons la crise de la représentation qui prend une forme particulière avec la constitution des Conseils d’avis. Dans le cas qui nous occupe, une chose est sûre, le Conseil de l’Education permanente n’a pas vu poindre l’émergence de nouvelles pratiques. Mais le principal problème de cette forme de représentation encore colonisée par les «piliers» qui ont tendance à «faire» les politiques, est qu’ils ont une propension à escamoter le débat public et à éloigner un peu plus le citoyen du politique.

II est évident que le contexte où le «gâteau» à partager reste trop petit et que l’on ne devrait pas voir les effets du refinancement de la Communauté française avant quelques années ne contribue pas à ouvrir des débats complexes. Mais le coût de cela est que ce cadre législatif si particulier risque d’opérer une mutation vers un cadre plus proche de la formation socio-professionnelle ou de l’éducation pure. Une mutation qui se concrétiserait sous la forme d’actions organisées par des professionnels et consommées par des publics peu impliqués dans leur conception.

Pourtant ce danger était déjà connu. Sollicitée pour introduire les forums organisés par Rudy Demotte pour «mettre en débat» son projet de réforme, la docteur en philosophie Majo Hansotte insistait déjà: «Un certain nombre d’organisations, en devenant des lieux d’intégration sociale, professionnelle et de résorption du chômage, ont opéré un glissement de mission par rapport à l’exigence première de soutenir et de former des citoyens, de favoriser leur structuration politique et collective».

C’est dans le coeur du décret qui va être discuté en gouvernement que doivent se trouver les ouvertures qui permettent les impulsions futures. Cependant, vu la difficulté prévisible que le nouveau décret aura à répondre aux situations les plus diverses dont celles dites de l’émergence, vu son manque de souffle, il nous semble nécessaire de créer une «filière» qui permette à ce secteur de se développer avec un peu plus d’ouverture et d’audace.

• Carte blanche publiée dans « La Libre Belgique », 14 février 2003. Signataires : Ambassade universelle (Bruxelles), Aphraate (Bruxelles), Aquilone (Liège), Atelier Zorobabel (Bruxelles), Les Bains::Connective (Bruxelles), Blow-Up (Bruxelles), Bruxelles nous appartient (Bruxelles), Bureau vers plus de bien-être (Bruxelles), C 4-D’une certaine gaité (Liège), Campagn’Art (Gouvy), Centre Nerveux (Ottignies), Cinéma Nova (Bruxelles), City Mine (d) (Bruxelles), Collectif sans ticket (Liège/Bruxelles), Constant (Bruxelles), Les Corsaires (Bruxelles), CPCR (Liège), Cube (Bruxelles), La Dissidence (Bruxelles), diSturb (Bruxelles), Editions du Souffle (Bruxelles), En Transformation (Bruxelles), Etablissements d’en Face (Bruxelles), La Ferme du Biéreau (Louvain-la-Neuve), Flying Cow (Bruxelles), Genres d’à côté (Bruxelles), Gramsci / Carlo Lévi (Liège), GReFA (Bruxelles), Inanna (Bruxelles), Information & Citoyennetés (Louvain-la-Neuve/Bruxelles), Kan’H (Bruxelles), Magazins (Bruxelles), Moving Art Studio (Bruxelles), Blabla. Express. Org (Liège), Parcours Citoyens (Bruxelles), Placeovélo (Bruxelles), Plus Tôt-Te Laat (Bruxelles), Polymorfilms (Bruxelles), Projection Caliban (Bruxelles), Le P’tit Ciné (Bruxelles), Les P’tits Belges (Bruxelles), Radio Air Libre (Bruxelles), Radio Boups (Bruxelles), Radio Campus (Bruxelles), Radio Panik (Bruxelles), Recyclart (Bruxelles), Rencontres pour Mémoire (Bruxelles), Simili-Théâtre (Ottignies), Souterrain Production (Bruxelles), Témoins occulistes (Bruxelles), Théâtre Le Café (Bruxelles), Tilt! (Bruxelles), Violette & Marguerite (Bruxelles), Vox (Bruxelles), La Zone (Liège)…