Le nouveau décret détourne l’éducation permanente de sa vocation initiale. Exit la dimension culturelle, l’expression et la créativité pour comprendre le monde et agir sur lui.
Il y a environ un an, Rudy Demotte signifiait que la réforme du décret de 1976 sur l’Éducation permanente permettrait à la Communauté française d’avoir un «rôle de levier et de faciliter l’émergence d’associations qui appréhendent de nouvelles questions de société et où s’inventent de nouvelles formes d’organisation, d’apprentissage et de résistance».
Ce jeudi 13 février, ce projet de décret arrive sur la table du Gouvernement de la Communauté française. Nous avons des raisons de craindre que ce nouveau décret achève de détourner l’éducation permanente de sa vocation initiale. À sa lecture, nous découvrons un texte technocratique dans lequel peu de place est donnée à la dimension culturelle, à l’expression et à la créativité des personnes dans leur recherche pour comprendre le monde et agir sur lui. Idées pourtant centrales dans le renouvellement d’une conception de l’éducation permanente. La cause de ce revirement semble principalement due au fait que divers débats auront manqué dans la période d’élaboration du nouveau décret.
– Il y a d’abord l’omniprésente préoccupation de l’emploi qui masque d’autres exigences et notamment l’importance de l’action bénévole ou militante. Certes, il est désormais entendu que le secteur va pouvoir mieux financer ses employés. C’est un acquis important. Mais l’implication politique et culturelle parfois conflictuelle doit être le fait du plus grand nombre et suppose une prise de risque qui ne peut être seulement le fait de personnes employées qui «éduqueraient» à cela. La tension entre emploi et militantisme, bénévolat, action libre doit donc continuer d’être présente même s’il peut apparaître iconoclaste de refuser le tout à l’emploi lorsque partout l’on entend que le spectre du chômage revient en force.
– La notion d’évaluation n’a pas été pensée. Tout se passe comme s’il ne fallait pas toucher au contenu de ce que produisent les organisations d’éducation permanente, comme si ces contenus et méthodes ne pouvaient faire débat, être remis en questions. L’Etat, cependant, aurait tout intérêt à se donner les moyens d’une évaluation de ses politiques culturelles qui permettent d’imaginer les réorientations essentielles dans un monde en mutation.
– L’impossible transversalité des politiques culturelles en Communauté française ne permet toujours pas de lier art et politique, par exemple, ou rend difficile l’usage d’un médium comme méthode ou technique d’expression culturelle dans le cadre d’un projet d’éducation permanente. C’est comme si l’expression, la créativité, la création même n’avaient aucun rapport avec l’esprit critique et l’émancipation. Comme si dans la vie il n’y avait pas un continuum entre ces termes.
– Il y a enfin ce que nous appellerons la crise de la représentation qui prend une forme particulière avec la constitution des Conseils d’avis. Dans le cas qui nous occupe, une chose est sûre, le Conseil de l’Education permanente n’a pas vu poindre l’émergence de nouvelles pratiques. Mais le principal problème de cette forme de représentation encore colonisée par les «piliers» qui ont tendance à «faire» les politiques, est qu’ils ont une propension à escamoter le débat public et à éloigner un peu plus le citoyen du politique.
II est évident que le contexte où le «gâteau» à partager reste trop petit et que l’on ne devrait pas voir les effets du refinancement de la Communauté française avant quelques années ne contribue pas à ouvrir des débats complexes. Mais le coût de cela est que ce cadre législatif si particulier risque d’opérer une mutation vers un cadre plus proche de la formation socio-professionnelle ou de l’éducation pure. Une mutation qui se concrétiserait sous la forme d’actions organisées par des professionnels et consommées par des publics peu impliqués dans leur conception.
Pourtant ce danger était déjà connu. Sollicitée pour introduire les forums organisés par Rudy Demotte pour «mettre en débat» son projet de réforme, la docteur en philosophie Majo Hansotte insistait déjà: «Un certain nombre d’organisations, en devenant des lieux d’intégration sociale, professionnelle et de résorption du chômage, ont opéré un glissement de mission par rapport à l’exigence première de soutenir et de former des citoyens, de favoriser leur structuration politique et collective».
C’est dans le coeur du décret qui va être discuté en gouvernement que doivent se trouver les ouvertures qui permettent les impulsions futures. Cependant, vu la difficulté prévisible que le nouveau décret aura à répondre aux situations les plus diverses dont celles dites de l’émergence, vu son manque de souffle, il nous semble nécessaire de créer une «filière» qui permette à ce secteur de se développer avec un peu plus d’ouverture et d’audace.
• Carte blanche publiée dans « La Libre Belgique », 14 février 2003. Signataires : Ambassade universelle (Bruxelles), Aphraate (Bruxelles), Aquilone (Liège), Atelier Zorobabel (Bruxelles), Les Bains::Connective (Bruxelles), Blow-Up (Bruxelles), Bruxelles nous appartient (Bruxelles), Bureau vers plus de bien-être (Bruxelles), C 4-D’une certaine gaité (Liège), Campagn’Art (Gouvy), Centre Nerveux (Ottignies), Cinéma Nova (Bruxelles), City Mine (d) (Bruxelles), Collectif sans ticket (Liège/Bruxelles), Constant (Bruxelles), Les Corsaires (Bruxelles), CPCR (Liège), Cube (Bruxelles), La Dissidence (Bruxelles), diSturb (Bruxelles), Editions du Souffle (Bruxelles), En Transformation (Bruxelles), Etablissements d’en Face (Bruxelles), La Ferme du Biéreau (Louvain-la-Neuve), Flying Cow (Bruxelles), Genres d’à côté (Bruxelles), Gramsci / Carlo Lévi (Liège), GReFA (Bruxelles), Inanna (Bruxelles), Information & Citoyennetés (Louvain-la-Neuve/Bruxelles), Kan’H (Bruxelles), Magazins (Bruxelles), Moving Art Studio (Bruxelles), Blabla. Express. Org (Liège), Parcours Citoyens (Bruxelles), Placeovélo (Bruxelles), Plus Tôt-Te Laat (Bruxelles), Polymorfilms (Bruxelles), Projection Caliban (Bruxelles), Le P’tit Ciné (Bruxelles), Les P’tits Belges (Bruxelles), Radio Air Libre (Bruxelles), Radio Boups (Bruxelles), Radio Campus (Bruxelles), Radio Panik (Bruxelles), Recyclart (Bruxelles), Rencontres pour Mémoire (Bruxelles), Simili-Théâtre (Ottignies), Souterrain Production (Bruxelles), Témoins occulistes (Bruxelles), Théâtre Le Café (Bruxelles), Tilt! (Bruxelles), Violette & Marguerite (Bruxelles), Vox (Bruxelles), La Zone (Liège)…