Les deux concerts que donne Manu Chao dans les Marolles ces 11 et 12 juillet réjouissent peut-être les fans, mais moins les habitants et usagers de la Place du jeu de Balle. Celle-ci va être fermée pour un événement qui n’est manifestement pas destiné à la population du quartier.
Manu Chao à la Place du Jeu de Balle ? L’idée paraît réjouissante… Pour les spectateurs, le lieu choisi annonce une ambiance nettement plus conviviale qu’un concert dans un stade ou une grande salle de concert. De plus, il y a une certaine adéquation entre le chanteur franco-espagnol, engagé socialement et politiquement, sa musique métissée, et ce quartier populaire, rebelle, marqué par les vagues immigrations notamment espagnole ou marocaine. Les Marolles, c’est un quartier très ancien, largement amputé par la construction du Palais de Justice mais qui a tenu tête à plusieurs reprises dans l’histoire à des projets de démolition et d’expropriation. Un quartier qui a réussi à garder son âme, et où l’on trouve encore des traces d’un Bruxelles ancien, populaire, de ses dialectes, de ses petits métiers… Et ce, malgré un phénomène d’embourgeoisement de plus en plus marqué par la présence de nombreux antiquaires de luxe, de magasins « vintage », de cafés branchés et de nombreux touristes attirés par le caractère « authentique » et par l’esprit qui se dégage de ses ruelles. Le grand nombre de logements sociaux implantés dans le quartier le préserve heureusement d’une gentrification complète et rapide.
Bref. Manu Chao dans les Marolles, c’est un peu comme voir Pink Floyd à Pompéi ou un concert techno dans un hangar industriel : la symbiose entre artiste et lieu semble parfaite. En apparence. Car au-delà du symbole, que va réellement amener cet événement au quartier et à ses habitants ? Feront-ils partie de la fête, ou bien le coeur de leur quartier servira-t-il seulement de cadre, d’image de carte postale à un événement privatif ? Au vu du prix des tickets (33 euros, en vente uniquement à la FNAC) et de leur nombre limité (la place n’est pas très grande, les deux concerts ont donc été très vite sold-out), il y a fort à parier que les Marolliens ne seront pas nombreux à profiter de la belle énergie scénique du chanteur, autrement qu’en l’écoutant de leurs fenêtres. Aucune promotion spécifique de l’événement ne s’est d’ailleurs effectuée par chez eux. Pas d’invitation, pas de tarif réduit. Juste une lettre distribuée en toutes-boites pour détailler les nuisances et les désagréments que produiront les concerts. Les organisateurs annoncent quatre jours d’occupation de la place. Celle-ci sera grillagée, la circulation et les transports en commun déviés. Un précédent qui, espérons-le, ne se reproduira pas.
Car pourquoi venir ici, si c’est pour privatiser l’espace pendant plusieurs jours sans en faire profiter les habitants ? S’il n’était pas possible de rendre ces concerts gratuits, d’autres salles, places, parcs ou stades auraient été bien plus adéquats. Le Brussels Summer Festival (BSF, un festival coorganisé par la Ville de Bruxelles, hyper sponsorisé et qui, comme son nom l’indique, ressemble plus à un événement de city marketing destiné à animer le centre-ville pendant la période touristique qu’à un festival avec une âme et une identité musicale), organisateur de ces concerts, occupe habituellement d’autres scènes dans des lieux mieux adaptés à ce type d’événement, comme la Place des Palais ou le Mont des Arts…
Selon le BSF, c’est à la demande de Manu Chao, « tombé amoureux« du quartier, que les deux concerts auraient été organisés ici. Une idée peut-être partie d’un bon sentiment mais qui, du point de vue du quartier et de ses habitants, va produire l’inverse de l’effet recherché. La Place du Jeu de Balle est le coeur d’un habitat dense, populaire, et d’un marché quotidien. Fermer cette place, c’est mépriser ces réalités. Des concerts sont bien organisés une fois par an sur cette place, la veille de la fête nationale du 21 juillet, mais gratuitement. Et quoiqu’on puisse penser de la programmation folklorique qui y est proposée (Annie Cordy, Plastic Bertrand, etc.), tout le monde peut en profiter.
Alors, qu’on se le dise : la véritable fête populaire dans les Marolles n’aura sans doute pas lieu avec Manu Chao, mais plutôt huit jours plus tard, le 20 juillet… avec Sandra Kim et le Grand Jojo !
P.S. Un billet sur les suites de ces concerts : ici.