Mots de la Cage aux Ours

1 janvier 2013
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Recensé : « Mots de la Cage aux Ours » | ouvrage collectif | éditions Constant | Bruxelles | 2012.

B-es-slâma ! Aller en stoemelings au fritkot à Pogge. Manger du fufu au pondou. Commander un pain français dans une boulangerie rifaine, une negerinnetet dans une pâtisserie belge. Traîner près de la Fontaine d’amour en évitant les hnouch aussi appelés poulets. Va à Molem, smeks ! Se traîter de klette ou de franskillon. Parler Maroxellois aux blédards, zinnekes et autres ânes van Schoorbeek…

Autour de la Cage aux Ours (que certains continuent d’appeler par son nom officiel de place Verboekhoven) comme dans de nombreux autres quartiers de Bruxelles, différents groupes de population entretiennent une richesse linguistique melting-potesque qu’aucun dictionnaire ne reconnaît. Certains mots et expressions y font pourtant désormais partie du vocabulaire quotidien. Ils proviennent parfois de l’argot local, mais aussi des nombreuses communautés qui habitent ces quartiers et y amènent des éléments de leurs langues.

L’arabe, le turc, le berbère, le swahili, l’espagnol, l’italien, le chinois ou le polonais ne sont qu’une sélection de la variété de langues qui assaisonnent le français, la langue courante du quartier, mais aussi le néerlandais et les réminiscences de patois bruxellois .

Pendant trois ans, le projet La Langue Schaerbeekoise (mené par l’asbl Constant dans le cadre du contrat de quartier Navez-Portaels) a travaillé autour de cette oralité en récoltant une multitude de mots entendus en rue, mais aussi en organisant des rencontres, des projections de films, des interviews, etc. Le livre « Mots de la Cage aux Ours » en est l’aboutissement : une sorte de dictionnaire nourri de ces influences qui, à l’image de son sujet, est ouvert au changement, flexible et organique. Rédigé à l’attention des habitants du quartier, il constitue aussi une invitation à découvrir celui-ci, et un outil pour tous ceux qui s’intéressent à la richesse linguistique des grandes villes qui, comme Bruxelles, ne sont pas internationales que par leurs bureaux, leurs institutions et leur tourisme, mais avant tout par les populations qui y vivent.

L’un des participants au projet nomme cette créativité linguistique des migrants le créole immigré ou l’immigratien. Il y voit en effet une similitude avec le créole, qui a représenté pour les esclaves une possibilité d’assimiler la langue des oppresseurs tout en ne s’y perdant pas complètement. Toute proportion gardée, l’immigratienrésulterait ainsi d’une résistance à la langue de l’alphabétiseur, d’une volonté de ne pas laisser enterrer, sous l’écrit, les cultures orales et populaires. Et ceci sans forcément altérer le sens des mots et des expressions, mais en les enrichissant tout en les déformant.

Les « Mots de la Cage aux Ours » sont utilement complétés par le site web du projet, qui propose une base de données sonore où l’on peut écouter tous les mots de la collection ainsi qu’une série d’émissions radio et de créations sonores réalisées à partir de ceux-ci, où les voix, les timbres, les accents, les intonations et les ambiances donnent une dimension encore plus impressionnante à ce travail.

• Gwenaël Breës

Article paru dans le n°261 de  « Bruxelles en mouvements » (décembre 2012).



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