Au terme de sept années de déboires juridico-politiques |1|, le gouvernement de la Communauté française a approuvé, le 31 mars dernier, la liste des fréquences FM attribuables aux radios privées francophones : 200 fréquences partagées entre 6 réseaux, 80 fréquences pour des radios indépendantes et 31 pour des radios d’école. Il s’agit en fait de la première étape d’une procédure qui devrait aboutir, d’ici six mois, à la finalisation d’un plan de fréquence. En établissant celui-ci, la Communauté française assume enfin son rôle de gestionnaire d’une ressource rare : l’espace public radiophonique. L’accès aux ondes étant limité par des contraintes techniques, le rôle de l’Etat est en effet de le répartir entre une multitude de candidats les plus divers, en fonction de critères censés être objectifs et garantir la pluralité de l’offre radiophonique. Au terme de cette première étape, le Gouvernement devait donc se contenter d’établir une « coquille vide », constituée de lots de fréquences faisant ensuite l’objet d’un appel d’offre public. Mais, à y regarder de plus près, il apparaît que la coquille n’est vide qu’en apparence…
En effet, les principaux candidats aux fréquences |2| ne doutent plus aujourd’hui des lots qu’ils se verront attribuer au terme d’une procédure qui, pourtant, débute à peine ! Bénéficiant de relais politiques privilégiés, ceux-ci ont joué un rôle prépondérant dans l’élaboration de « leur » futur plan ; obtenant par exemple la reconduction de fréquences utilisées illégalement depuis des années, voire même des fréquences à bon confort d’écoute retirées à certaines radios « indépendantes ».
Pour l’essentiel, tout porte donc à croire que les jeux sont déjà faits. À travers une procédure caricaturale qui s’est résumée à un intense lobbying, le Gouvernement semble avoir taillé un plan sur mesures pour les multinationales de l’audiovisuel. Ce n’est pas la lecture de la presse de ces dernières semaines qui nous démentira. On a pu y lire très explicitement comment le MR a défendu les intérêts de Bel RTL et de Radio Contact, le PS ceux du réseau Ciel FM de Guy Mathot et Daniel Weekers (Déficom, ex-directeur de Canal + Belgique)…
Malgré tout, certains réseaux trouvent encore matière à s’indigner et mènent aujourd’hui campagne contre « l’extrême gourmandise » de la RTBF en matière de fréquences. Que leurs inquiétudes soient fondées ou non, venant des principaux groupes qui ont élaboré le plan en sous main, on hésite à qualifier cette démarche de pathétique ou d’indécente. D’autant plus que le déséquilibre qu’ils dénoncent entre secteur public et réseaux privés semble bien futile au regard de l’inégalité créée dans le plan entre réseaux et radios indépendantes…
Les miettes pour les radios indépendantes
En effet, le nouveau plan constitue un très net recul pour les radios indépendantes, dont la situation actuelle est pourtant déjà loin d’être enviable. Alors que certains émetteurs de réseaux sont prévus pour atteindre des puissances dépassant les 10.000 watts, la plupart des fréquences prévues pour les « indépendantes » plafonnent à 100 watts ! Ce sont bien elles, déjà reléguées à des fréquences où le nombre d’émetteurs est plus important et la puissance plus faible, qui feront les frais des marchandages politico-financiers qui ont émaillé la conception du plan de fréquence. Ce sont encore elles qui devront se partager les miettes d’un festin déjà consommé, où d’aucuns ont encore la velléité de s’approprier les rares bonnes fréquences qui leur sont attribuées pour, au mieux, les « échanger » contre de moins bonnes.
Mais, au fait, qu’entend-on par « radios indépendantes » ? Cette catégorie « fourre-tout », consacrée par le décret audiovisuel de 1997, rassemble un conglomérat de radios aux réalités difficilement assimilables : radios commerciales locales, radios associatives, universitaires, etc.… La seule chose qu’elles ont en commun est la restriction à un seul émetteur !
Radios du 3e type : « privées »… de statut !
Aux premières loges des fréquences menacées, se trouvent les radios du troisième type, dites aussi « associatives », « socio-culturelles » ou « citoyennes ». Radios d’expression libre, de création, universitaires, voix des communautés étrangères et autres, elles ont en commun l’audace, la liberté de ton et un mode de fonctionnement participatif. Loin du conformisme induit par la pression des annonceurs et des régies publicitaires… Pourtant, aucun statut ne différencie ces radios du reste des « indépendantes ». Pas de « discrimination positive » pour elles, puisqu’aucun texte légal ne leur reconnaît une quelconque spécificité |3| ! Cette absence de reconnaissance pèse lourd pour les radios du troisième type. Par exemple, c’est au même titre que n’importe quelle radio commerciale qu’elles sont redevables de droits d’auteurs et d’interprètes toujours plus conséquents |4|. De même, elles n’émargent à aucun dispositif de subventionnement dans le champ de l’Audiovisuel. Et ne peuvent pas prétendre à l’aide d’un autre secteur de la Communauté française, puisqu’avant d’être « non-marchandes » ou « d’éducation permanente », elles sont avant tout considérées comme des « radios », « privées » comme toutes les autres…
Ni subventions, ni recettes publicitaires, ni tarifs préférentiels… Et pourtant, elles existent !
Les radios du troisième type continuent leur travail de défrichage, de médiation, d’expérimentation et de formation. Ouvertes à l’expression de catégories de la population qui ne sont pas ou peu représentées dans les médias traditionnels, elles se substituent à la mission du service public quant à son obligation de diversité.
Une vision entrepreneuriale
À l’instar de la politique culturelle, on dit souvent qu’il n’y a pas de politique de l’audiovisuel en Communauté française. En réalité, il semble bien qu’il en existe une. En déroulant le tapis rouge aux grands groupes médiatiques, en négligeant les radios indépendantes et en niant la spécificité des radios du troisième type, la Communauté française dessine une vision entrepreneuriale du paysage radiophonique où seuls prévalent les critères économiques : rentabilité, professionalisation, parts de marché… Ainsi s’annonce la procédure d’appel d’offre. C’est désormais au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA), une instance chargée de garantir une « diversité du paysage radiophonique et un équilibre entre les différents types de radios, au travers de l’offre musicale, culturelle et d’information », qu’il revient d’examiner les offres déposées par les radios puis de procéder, enfin, à l’attribution des fréquences. Le CSA réussira-t-il à s’affranchir des préférences gouvernementales pour tracer les contours d’un plan de fréquence réellement équilibré par le biais d’une procédure transparente ? Quant à la prochaine majorité gouvernementale, aura-t-elle la clairvoyance de réintégrer la dimension culturelle dans le paysage des radios privées en sortant les radios du troisième type de la précarité ?
C’est aussi un peu à nous tous d’en décider…
• Carte blanche publiée en avril 2005 dans « Le Soir » et « C4 ». Signataires : OSR (Soignies), Radio Air Libre (Bruxelles), Radio Campus (Bruxelles), Radio Hellena (Louvain-la-Neuve), Radio Panik (Bruxelles), Radio Universitaire Namuroise (Namur), Tam Tam Radio (Eghezée) Radio UMH (Mons), Radioswap.net (réseau d’échanges de programmes).
|1| « Plan de fréquences : les radios associatives tirent la sonnette d’alarme », carte blanche parue dans « Le Soir » du 17 avril 1999.
|2| Les 6 grands réseaux sont destinés, par ordre décroissant, à Bel RTL, Contact, Ciel FM, Nostalgie, NRJ et Fun.
|3| En 1997, le décret prévoyait bien une vague priorité dans l’attribution des fréquences à des radios « indépendantes à vocation culturelle », ce qui constituait pour les optimistes un semblant de début de reconnaissance. Mais même cette allusion a disparu, en 2003, suite à une réforme du Ministre Richard Miller.
|4| De plus, la répartition des droits facturés aux radios associatives par les sociétés d’auteurs et d’interprètes ne tient pas compte de la spécificité de la programmation des radios associatives. Au final, les artistes dont elles diffusent les œuvres ne sont pas ceux qui en bénéficient puisqu’il s’agit essentiellement d’artistes encore peu connus.