Le CSA confisqué

Ce n’est pas le genre de nouvelle sur laquelle s’étend le journal télévisé : alors que la majorité PS-CDH négocie en ce moment le renouvellement du Bureau du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), sa présidente, Evelyne Lentzen, est en passe d’être « débarquée ». Le Gouvernement, et à travers lui le Parti Socialiste, lui reprocherait une attitude « trop indépendante » ! La tentation de « mettre au pas » l’organe de régulation de l’audiovisuel est manifestement très forte…

C’est le Gouvernement de la Communauté française qui est chargé de nommer, tous les 5 ans, les membres du Bureau : un président et trois vice-présidents, sans l’aval desquels rien ne se décide au CSA. Ces postes sont « étiquetés » politiquement et distribués entre partis en fonction du résultat sorti des urnes.

Et aujourd’hui, les principes que le CSA est censé faire respecter dans l’univers de l’audiovisuel — à savoir la diversité, l’éthique, l’indépendance, ou encore la pluralité des tendances idéologiques et philosophiques — semblent moins que jamais prioritaires lorsqu’il s’agit de composer ses propres instances dirigeantes.

Il est vrai que le CSA, ces derniers mois, s’est illustré par des décisions fort peu agréables pour certains grands opérateurs. En tête de ceux-ci : la RTBF, qui n’a pas apprécié l’intervention du régulateur dans la négociation de son contrat de gestion particulièrement pro-publicitaire. Et RTL-TVi, en conflit ouvert avec le CSA depuis sa « délocalisation » au Luxembourg (RTL-TVi s’est notamment vu infliger une amende record de 500.000 euros dans ce cadre, toujours impayée actuellement).

En quelque sorte, même si son bilan n’est pas parfait, la direction du CSA paie le prix de son bon travail : avoir “simplement” privilégié l’indépendance de son institution, à l’inverse d’une logique particratique.

Trop indépendant, donc, le CSA… mais de quoi parle-t-on, au juste ?

Le CSA est, comme la Loi l’indique, une autorité administrative indépendante, c’est-à-dire un organe administratif qui ne dépend pas de la Ministre de l’audiovisuel, au contraire du reste de l’administration.
Partout en Europe, on installe de tels organes indépendants pour réguler divers secteurs sensibles (télécoms, médias, mais aussi énergie), afin d’éviter autant que possible les conflits d’intérêts et garantir le fonctionnement démocratique des institutions.

Le cas de l’audiovisuel est particulier en ce sens qu’il est le lieu de combats politiques féroces : on sait l’importance cruciale qu’a prise « la com’ » dans nos démocraties. Les élus, avides d’accès aux grands médias pour entretenir leur notoriété, sont tentés de faire montre de complaisance pour gagner ou garder les faveurs de tel ou tel organe médiatique. En témoignent, par exemple, les récentes adaptations à la Loi en vue d’assouplir les règles relatives aux pratiques publicitaires en télévision, notamment le plafond des recettes publicitaires de la RTBF que la majorité a fait sauter, en totale contradiction avec les promesses pré-électorales des deux partis qui la composent.

C’est pour cette raison que la mission de contrôler les radios et les télévisions est confiée à un régulateur autonome, sorte « d’empêcheur de tourner en rond » conçu pour faire respecter le droit de l’audiovisuel, et pas aux décideurs politiques qui sont par définition susceptibles d’entrer en conflit d’intérêts.

L’indépendance de l’organe de contrôle est donc une condition absolument nécessaire pour protéger l’intérêt général. Téléguidé par des élus ou des partis, il serait incapable d’assurer la défense des usagers et de garantir la diversité du paysage audiovisuel face aux appétits sans scrupules et aux délires mégalomanes de l’industrie médiatico-publicitaire.

Il s’agit là d’enjeux démocratiques très concrets et bien réels, au coeur desquels le principe d’indépendance constitue un garde-fou essentiel.

La reprise en main annoncée du CSA est donc une mauvaise nouvelle pour ceux que cette institution a la mission de défendre : le public, les opérateurs audiovisuels de moindre taille, dont les radios d’expression, les télévisions locales, mais aussi les journalistes, les producteurs indépendants, les auteurs, les artistes belges, le monde culturel, le jeune public, les sourds et malentendants…

Du côté de l’industrie des médias, on se frotte les mains.

Pour les grands opérateurs qui dominent le secteur, le CSA est un obstacle. Il leur est en effet plus simple de négocier directement avec les partis au pouvoir, trop heureux de voir les médias venir leur manger dans la main. Un jeu de donnant-donnant dans lequel, s’il venait à être « bétonné », le CSA sera réduit à jouer les « presse-boutons » du PS et du CDH et à user de beaucoup de créativité pour faire entrer dans le cadre légal les petits arrangements de la majorité, mais aussi à fournir un alibi « d’indépendance » derrière lequel les politiques pourraient toujours se retrancher.
Inutile de souligner qu’il s’agirait là d’une confiscation intolérable aux yeux de tout démocrate qui se respecte.

Certains l’ont bien compris, et une proposition de modification de la procédure de désignation du Bureau du CSA est d’ores et déjà sur la table du Parlement. Il est encore temps d’organiser cette nomination sur des bases transparentes et objectives, afin de renforcer l’indépendance du CSA voulue par le législateur… et par la Ministre Laanan elle-même, si l’on en croit la déclaration qu’elle vient de faire au Parlement.

• Carte blanche parue dans « Le Soir » du 17 octobre 2007. Signataires : Philippe Andrianne (Ligue des Familles), Atelier de Création Sonore Radiophonique (ACSR), Hervé Brindel (GSARA), Cinéma Nova (Bruxelles), Jean-Marie Coen (Attac Wallonie-Bruxelles), Michel Clarembeaux (directeur du Centre Audiovisuel Liège), Michel Collon (écrivain et journaliste), Christine Declercq (Radio Libellule, Comines-Warneton), Jean-Marie Dermagne (bâtonnier du Barreau de Dinant, directeur du service de recherche en droit de l’enseignement-UCL), Irvic D’Olivier (Silenceradio.org), Jean Flinker (enseignant, membre d’Attac-Bruxelles), Nadia Geerts (auteur), Roland Gossens (scénariste et dessinateur, « Le Scrameustache »), Grappe (Groupe de réflexion et d’Action Pour une Politique Ecologique), Théo Hachez (membre du Collège d’avis du CSA), William Henne (Zorobabel – La 5e Couche), Bernard Hennebert (Consoloisirs.be), Nico Hirtt (Appel pour une école démocratique), Kanar (dessinateur de presse), Bernard Legros (enseignant et essayiste), Jacques Liesenborghs (ancien vice-président de la RTBF), Frédéric Linsmeau (Secrétaire de l’Ecole Provinciale de Sciences administratives – Région liègeoise), Jean-Michel Loré (membre du Collège d’avis du CSA), Philippe Moins (directeur artistique Anima), Henriette Michaux (enseignante à l’institut supérieur d’Architecture Lambert Lombard à Liège), Catherine Montondo (cinéaste), Catherine Morenville (journaliste), Marc Moulin (compositeur – auteur), Jacques Paradoms (écrivain et chroniqueur littéraire), Radio 48FM (Liège), Radio Air Libre (Bruxelles), Radio Campus (Bruxelles), Radio OSR (Soignies), Radio Panik (Bruxelles), Radio qui chifel (Mouscron), Radio UMH (Mons), Respire (groupe de réflexion et d’action pour libérer l’espace public de la publicité commerciale), Pierre-Paul Renders (cinéaste, vice-président de l’ARRF, Association des Réalisateurs et Réalisatrices de Films), Jean-Yves Saliez (Inter-Environnement Wallonie, fédération des associations environnementales), François Schreuer (journaliste), Edgar Szoc (journaliste), Olivier Taymans (journaliste), Clément Triboulet (clown, chargé de cours dans les Ecoles Supérieures d’Art Dramatique de Sevilla), Alain Thonon (responsable service d’aide aux jeunes), Georges Trussart (ancien Sénateur), Joelle van den Berg (Réseau IDée, Information et Diffusion en éducation à l’environnement), Dan Van Raemdonck (professeur à l’ULB), Marie-Noëlle Vroonen (La Meute), Paul Wattecamps (concepteur de Télévision du Monde), Michel Wautot (Hommes et Patrimoine)




Des tambours sur l’oreille d’un sourd

Un livre orchestré par : Ahmed “Dema” Ahamdi, Gwenaël Breës, Paul Decleire, Pierre Deruisseau, Frédéric Jacquemin, Véronique Linard, Fabrizio Terranova, Marianne Van Leeuw Koplewicz | Editions du Bigoudi | 2006.

« Des tambours sur l’oreille d’un sourd » rend public les analyses et propositions élaborées par la plate-forme Bigoudis – union passagère d’associations qualifiées « d’émergentes » – à l’occasion de la réforme et de l’entrée en vigueur du décret sur l’éducation permanente.

S’il s’adresse à ce titre aux usagers, bénévoles, employés et employeurs de ce secteur, il s’ouvre également au développement des thématiques rencontrées lors de ces réflexions. Il s’agit aussi pour ce « nous » momentané de nourrir une « culture des précédents » : le récit des réussites et des échecs pourrait servir à des groupes, plate-formes, alliances à venir…

Est-il possible aujourd’hui, en Communauté française, de poser des questions sur la place des « nouvelles » générations d’associations dans les politiques culturelles, sans se faire taxer de « cannibales » ? D’être critique quant aux politiques de l’emploi et aux conséquences du tout-à-la-professionnalisation sur la vie associative, sans être aussitôt traité de « néo-libéraux » ou de « détricoteurs d’acquis sociaux » ? Peut-on proposer et tenter de penser un problème ensemble – comme semble nous y inviter le discours de la « participation » – sans être écarté du débat ou qualifié de « prétentieux », « d’agitateurs trop peu représentatifs »… ?

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Éducation permanente : l’émergence hors jeu ?

Alors que la Communauté française était jadis reconnue sur la place européenne comme un laboratoire des pratiques culturelles expérimentales, elle n’a pas cessé de se couper du terreau de l’innovation. Non contente de délaisser, depuis des années, des associations qui incarnent une nouvelle vision de l’éducation permanente et d’abdiquer ses responsabilités par rapport au futur de celle-ci, elle est en passe d’appliquer un décret qui sabote toute chance de rénovation du secteur.

Dans sa note d’orientation politique, la nouvelle ministre de la Culture de la Communauté française, Fadila Laanan affirme sa volonté de porter une attention particulière aux formes de cultures émergentes. Cette déclaration intervient au moment où le nouveau décret sur l’Education permanente (l’un des budgets les plus importants de la Culture) entre en application, fraîchement réformé par l’un de ses prédécesseurs, Rudy Demotte. Le credo de ce dernier était qu’il est de la responsabilité de la Communauté française d’avoir ce rôle de levier et de faciliter l’émergence d’associations qui appréhendent de nouvelles questions de société et où s’inventent de nouvelles formes d’organisation, d’apprentissage et de résistance.

L’« émergence » est ainsi régulièrement évoquée comme une priorité, sans que l’on prenne jamais la peine de s’accorder sur ce qu’on entend par-là. Qu’est-ce au juste, l’émergence ? Sur le terrain associatif, il est impossible de parler d’un « secteur émergent », tant l’appellation est vague. Par contre, une multitude d’initiatives collectives et citoyennes, aux pratiques diverses et pertinentes face aux changements sociétaux, peuvent légitimement se sentir concernées lorsque « l’émergence » est invoquée. Ces associations peuvent aussi se reconnaître dans l’esprit du décret sur l’Éducation permanente, dont l’objet est le développement de l’action associative visant l’analyse critique de la société, la stimulation d’initiatives démocratiques et collectives dans une perspective d’émancipation individuelle…

C’est ce qui arriva en 2002, lorsque M. Demotte entama la réforme de ce décret datant de 1976. Quasi aucune association non reconnue ne fut associée à la « vaste concertation » initiée pour l’occasion. Une cinquantaine d’associations constituèrent une plateforme. Le cabinet Demotte décida de les rencontrer et les mettre au travail. De toutes nos questions et propositions formulées, il n’est resté aucune trace significative dans le décret, ni dans ses arrêtés d’application.

Boiteux sous bien des aspects, le nouveau dispositif est ultracomplexe et fait même l’impasse sur des sujets aussi importants que celui de l’évaluation. Parsemé de zones d’ombre et de contradictions, il devra au minimum être réinterprété avant d’être applicable. Mais à qui sera laissé le soin de cette réinterprétation ?

Pour les associations déjà reconnues, les problèmes d’adaptation sont réels mais ne se posent pas en termes d’urgence : un délai de trois ans leur est accordé pour se conformer aux nouveaux critères. Pour les « petites », les « nouvelles », les « différentes », bref, les « émergentes », le décret ne donne aucune autre perspective de soutien que celle d’être « reconnues », « transitoirement » dans un premier temps. Mais pour elles, la procédure est autrement plus contraignante et les chances d’aboutir quasi inexistantes :

– Le dispositif prévu pour les nouvelles reconnaissances n’est pas adapté à la réalité des associations dites « émergentes ». Les critères – essentiellement quantitatifs – sont souvent inatteignables, à moins de pousser les associations, pour s’y conformer, à modifier radicalement leur structure et la cohérence de leur action culturelle.

– Le système du « sas », réservé aux nouveaux candidats à la reconnaissance, est basé sur des injustices et des incohérences. Ainsi, le volume d’activités (très élevé) requis pour pouvoir prétendre à la reconnaissance, doit déjà être atteint par l’association dans l’année qui précède l’introduction de la demande ! Il doit être ensuite maintenu pendant la période de « reconnaissance transitoire », pendant laquelle les subsides octroyés sont pourtant quatre fois moins importants ! On cherche en vain l’effet de stimulation, l’impulsion au développement des activités, dont aucune progressivité ne semble avoir été envisagée. Par ce système, la Communauté française se montre incapable à soutenir en amont des projets dès leur… émergence.

– L’année 2005 est une année littéralement perdue pour la plupart des associations candidates. Les arrêtés d’application furent approuvés par le gouvernement le 28 avril 2004. La séance d’information sur la nouvelle procédure se déroula le 17 juin, la date de remise des dossiers étant fixée au 30 septembre. Il fallait donc être à la fois avisé, performant, courageux et clairvoyant pour remettre son dossier à temps et dans les formes requises ! Tout cela pour obtenir une réponse en septembre 2005, c’est-à-dire trop tard pour engager des fonds sur l’année en cours si la reconnaissance est accordée. Et trop tard, encore, pour repostuler en 2006 (délai : mars 2005) si elle est refusée.

– L’enveloppe qui sera allouée dès 2005 aux nouvelles reconnaissances reste l’une des grandes inconnues à ce jour. Si les parlementaires se fondent sur le nombre de demandes entrées en 2004 (très petit, vu les conditions) pour déterminer cette enveloppe, elle sera d’emblée peu fournie. Or, l’on sait déjà qu’elle risque de ne pas être suffisante pour la suite, les nouveaux crédits se répartissant prioritairement entre les associations déjà reconnues. Cette première session ne peut donc servir de référence pour l’avenir.

En aucun cas, ce nouveau décret ne peut donc être considéré comme un mécanisme d’impulsion, de soutien ou de développement des associations émergentes. S’il était question de les encourager, c’eut même été difficile de faire pire ! Comment ces associations pourraient-elles interpréter positivement cette succession d’obstacles qu’on a dressée sur leur chemin ? D’autant que les propositions formulées par certaines d’entre elles semblent avoir gardé toute leur actualité et leur pertinence. Devront-elles attendre 25 ans avant une prochaine réforme ? Ou la Communauté française décidera-t-elle enfin de se doter des moyens nécessaires pour pallier ces carences ?·

(1) Carte blanche publiée dans « Le Soir » du 19 novembre 2004 et dans « C4 ». Signataires : Agency, AlterEcho, Atelier Graphoui, Ateliers Mommen, Ambassade universelle, Aphraate, Atelier Zorobabel, Les Bains : Connective, Blabla.Express.Org, Blow-Up, Bruxelles nous appartient, Bureau vers plus de bien-être, C4, Centre Nerveux, Cercle culturel Antonio Gramsci, Cinéma Nova, La Cinquième couche, City Mine(d), Collectif sans ticket, Collectif Jaune Orange, Collectifs.net, Constant, Les Corsaires, diSturb, Ecolabus, L’Employé du Moi, Et la bête, La Ferme du Biéreau, Flying Cow, Fréon (Bruxelles), Genres d’à côté, GreFA, Inanna, InSide, Kan’H, Komplot, Magasin 4, Magazins, Matamore Recordings, Moving Art Studio, Parcours Citoyens, Placeovélo, Plus Tôt-Te Laat, Polymorfilms, Le P’tit Ciné, Les P’tits Belges, Radio Air Libre, Radio Boups, Radio Campus, Radio Panik, Recyclart, Rencontres pour Mémoire, Simili-Théâtre, La Souris qui rugit, Souterrain Production, Théâtre Le Café, Théâtre du N-ombr’île, Tilt !, UTIL, Vox, Zelig/Editions du Souffle, La Zone.

Cette Carte blanche est signée par 62 associations socio-culturelles (1)




Les rendez-vous manqués de la réforme de l’éducation permanente

Le nouveau décret détourne l’éducation permanente de sa vocation initiale. Exit la dimension culturelle, l’expression et la créativité pour comprendre le monde et agir sur lui.

Il y a environ un an, Rudy Demotte signifiait que la réforme du décret de 1976 sur l’Éducation permanente permettrait à la Communauté française d’avoir un «rôle de levier et de faciliter l’émergence d’associations qui appréhendent de nouvelles questions de société et où s’inventent de nouvelles formes d’organisation, d’apprentissage et de résistance».

Ce jeudi 13 février, ce projet de décret arrive sur la table du Gouvernement de la Communauté française. Nous avons des raisons de craindre que ce nouveau décret achève de détourner l’éducation permanente de sa vocation initiale. À sa lecture, nous découvrons un texte technocratique dans lequel peu de place est donnée à la dimension culturelle, à l’expression et à la créativité des personnes dans leur recherche pour comprendre le monde et agir sur lui. Idées pourtant centrales dans le renouvellement d’une conception de l’éducation permanente. La cause de ce revirement semble principalement due au fait que divers débats auront manqué dans la période d’élaboration du nouveau décret.

– Il y a d’abord l’omniprésente préoccupation de l’emploi qui masque d’autres exigences et notamment l’importance de l’action bénévole ou militante. Certes, il est désormais entendu que le secteur va pouvoir mieux financer ses employés. C’est un acquis important. Mais l’implication politique et culturelle parfois conflictuelle doit être le fait du plus grand nombre et suppose une prise de risque qui ne peut être seulement le fait de personnes employées qui «éduqueraient» à cela. La tension entre emploi et militantisme, bénévolat, action libre doit donc continuer d’être présente même s’il peut apparaître iconoclaste de refuser le tout à l’emploi lorsque partout l’on entend que le spectre du chômage revient en force.

– La notion d’évaluation n’a pas été pensée. Tout se passe comme s’il ne fallait pas toucher au contenu de ce que produisent les organisations d’éducation permanente, comme si ces contenus et méthodes ne pouvaient faire débat, être remis en questions. L’Etat, cependant, aurait tout intérêt à se donner les moyens d’une évaluation de ses politiques culturelles qui permettent d’imaginer les réorientations essentielles dans un monde en mutation.

– L’impossible transversalité des politiques culturelles en Communauté française ne permet toujours pas de lier art et politique, par exemple, ou rend difficile l’usage d’un médium comme méthode ou technique d’expression culturelle dans le cadre d’un projet d’éducation permanente. C’est comme si l’expression, la créativité, la création même n’avaient aucun rapport avec l’esprit critique et l’émancipation. Comme si dans la vie il n’y avait pas un continuum entre ces termes.

– Il y a enfin ce que nous appellerons la crise de la représentation qui prend une forme particulière avec la constitution des Conseils d’avis. Dans le cas qui nous occupe, une chose est sûre, le Conseil de l’Education permanente n’a pas vu poindre l’émergence de nouvelles pratiques. Mais le principal problème de cette forme de représentation encore colonisée par les «piliers» qui ont tendance à «faire» les politiques, est qu’ils ont une propension à escamoter le débat public et à éloigner un peu plus le citoyen du politique.

II est évident que le contexte où le «gâteau» à partager reste trop petit et que l’on ne devrait pas voir les effets du refinancement de la Communauté française avant quelques années ne contribue pas à ouvrir des débats complexes. Mais le coût de cela est que ce cadre législatif si particulier risque d’opérer une mutation vers un cadre plus proche de la formation socio-professionnelle ou de l’éducation pure. Une mutation qui se concrétiserait sous la forme d’actions organisées par des professionnels et consommées par des publics peu impliqués dans leur conception.

Pourtant ce danger était déjà connu. Sollicitée pour introduire les forums organisés par Rudy Demotte pour «mettre en débat» son projet de réforme, la docteur en philosophie Majo Hansotte insistait déjà: «Un certain nombre d’organisations, en devenant des lieux d’intégration sociale, professionnelle et de résorption du chômage, ont opéré un glissement de mission par rapport à l’exigence première de soutenir et de former des citoyens, de favoriser leur structuration politique et collective».

C’est dans le coeur du décret qui va être discuté en gouvernement que doivent se trouver les ouvertures qui permettent les impulsions futures. Cependant, vu la difficulté prévisible que le nouveau décret aura à répondre aux situations les plus diverses dont celles dites de l’émergence, vu son manque de souffle, il nous semble nécessaire de créer une «filière» qui permette à ce secteur de se développer avec un peu plus d’ouverture et d’audace.

• Carte blanche publiée dans « La Libre Belgique », 14 février 2003. Signataires : Ambassade universelle (Bruxelles), Aphraate (Bruxelles), Aquilone (Liège), Atelier Zorobabel (Bruxelles), Les Bains::Connective (Bruxelles), Blow-Up (Bruxelles), Bruxelles nous appartient (Bruxelles), Bureau vers plus de bien-être (Bruxelles), C 4-D’une certaine gaité (Liège), Campagn’Art (Gouvy), Centre Nerveux (Ottignies), Cinéma Nova (Bruxelles), City Mine (d) (Bruxelles), Collectif sans ticket (Liège/Bruxelles), Constant (Bruxelles), Les Corsaires (Bruxelles), CPCR (Liège), Cube (Bruxelles), La Dissidence (Bruxelles), diSturb (Bruxelles), Editions du Souffle (Bruxelles), En Transformation (Bruxelles), Etablissements d’en Face (Bruxelles), La Ferme du Biéreau (Louvain-la-Neuve), Flying Cow (Bruxelles), Genres d’à côté (Bruxelles), Gramsci / Carlo Lévi (Liège), GReFA (Bruxelles), Inanna (Bruxelles), Information & Citoyennetés (Louvain-la-Neuve/Bruxelles), Kan’H (Bruxelles), Magazins (Bruxelles), Moving Art Studio (Bruxelles), Blabla. Express. Org (Liège), Parcours Citoyens (Bruxelles), Placeovélo (Bruxelles), Plus Tôt-Te Laat (Bruxelles), Polymorfilms (Bruxelles), Projection Caliban (Bruxelles), Le P’tit Ciné (Bruxelles), Les P’tits Belges (Bruxelles), Radio Air Libre (Bruxelles), Radio Boups (Bruxelles), Radio Campus (Bruxelles), Radio Panik (Bruxelles), Recyclart (Bruxelles), Rencontres pour Mémoire (Bruxelles), Simili-Théâtre (Ottignies), Souterrain Production (Bruxelles), Témoins occulistes (Bruxelles), Théâtre Le Café (Bruxelles), Tilt! (Bruxelles), Violette & Marguerite (Bruxelles), Vox (Bruxelles), La Zone (Liège)…